Chapitre 23 du livre “La personne polyhandicapée – 2e édition : La connaître, l’accompagner, la soigner”. P. Camberlin et G. Ponsot. Coll. Guide Santé Sociale. Janvier 2021. Dunond: Malakoff
Chapitre écrit par Scelles, R.
Médiation/Vulgarisation :
Une fratrie comprenant une personne polyhandicapée est avant tout une fratrie. Souhaiter accompagner les fratries nécessite de considérer la personne polyhandicapée, elle aussi, en tant que frère ou sœur. La dynamique d’une fratrie et la fonction de chacun de ses membres sont liées à un certain nombre de facteurs (ce qu’ils vivent entre eux, les événements auxquels ils font face, les missions que leurs parents leur assignent (in)consciemment, ce que chaque membre de la fratrie imagine de son histoire et de ses ascendants). Le lien fraternel se poursuit tout au long de la vie (enfance, adolescence, vie adulte).
1. Ce chapitre évoque quelques sentiments et relations les plus fréquentes et/ou problématiques pour les membres de la fratrie. Il est cependant important de noter qu’il est impossible de rendre compte de toute la complexité et la diversité des vécus au sein de la fratrie.
(a) La honte est un sentiment fréquemment ressenti par les frères et sœurs d’une personne en situation de (poly)handicap (honte d’eux-mêmes, honte de leur frère ou sœur (poly)handicapé(e), honte pour leur frère ou sœur (poly)handicapé(e). Pouvoir parler de ce sentiment de honte entre enfants et avec les adultes aide à transformer cette honte en quelque chose de moins traumatisant, permet d’avoir davantage confiance en leur capacité à se protéger et en leur capacité à solliciter d’autres personnes pour les aider à se protéger.
(b) La personne polyhandicapée, comme ses frères et sœurs, se sent souvent coupable de ne pas être l’enfant idéal et de rendre triste ses parents. Ce sentiment peut entraîner une dépression, des comportements agressifs envers soi ou envers les autres, et une attention extrême pour contrôler les « mauvaises pensées ». Les frères et sœurs peuvent parfois avoir l’impression de ressentir la culpabilité que leurs parents ressentent. Ce sentiment est renforcé quand les parents s’interdisent tout plaisir pour se consacrer uniquement à l’enfant (poly)handicapé car les enfants interprètent ce comportement parental comme une façon, pour les adultes, de se punir de leurs fautes et de les réparer.
(c) La gestion de sa propre agressivité et de l’agressivité de l’autre est centrale dans les liens entre frères et sœurs. Certains jeux agressifs sont dits structurants, c’est-à-dire qu’ils font partie du processus de développement du psychisme en permettant par exemple d’apprendre à faire la différence entre soi et les autres, maîtriser certaines conduites, s’opposer aux autres, etc. Dans les situations où l’un des membres de la fratrie vit avec un (poly)handicap, ce processus peut être perturbé par l’intervention trop importante des adultes dans les relations fraternelles, mais aussi par l’asymétrie qui existe entre la personne (poly)handicapée et ses frères et sœurs. Les jeux agressifs structurants sont à différencier de la maltraitance au sein de la fratrie. Les situations de maltraitance peuvent exister à tous les âges de la vie au sein des fratries. Elles sont souvent peu discutées en famille et avec les professionnels. Si elles sont ignorées, elles peuvent conduire à des troubles du comportement ou à des troubles internes (par exemple, une dépression). Ces troubles peuvent prendre fin à l’aide d’une thérapie ou avec la possibilité d’en parler en famille par exemple.
(d) Dans les fratries au sein desquelles l’un des membres est en situation de (poly)handicap, il est fréquent que la relation de compétitivité-agressivité entre frères et sœurs soit remplacée par une relation de type « aidant/aidé ». Le fait d’adopter le rôle d’aidant peut être source de satisfaction pour le frère ou la sœur qui adopte ce rôle, mais aussi l’empêcher d’établir des relations horizontales avec les autres membres de sa fratrie, et notamment avec son frère ou sa sœur en situation de handicap. Le souhait de ne plus tenir ce rôle d’aidant peut être l’occasion d’une maturation des relations dans la fratrie si les parents soutiennent l’évolution de ces relations et ne l’interprètent pas comme un signe de désamour.
2. Les évolutions et étapes du cycle de la vie de la fratrie et de chacun des membres de la fratrie peuvent avoir des effets bénéfiques ou négatifs sur les vécus des frères et sœurs :
(a) Le moment où le cadet devient plus performant (d’un point de vue développemental) que l’aîné en situation de (poly)handicap agit comme une confirmation du « non handicap » du cadet et comme un « révélateur » du handicap en forçant à reconnaître l’importance de la situation de handicap de l’aîné. S’il peut en tirer des bénéfices en termes de protection, l’aîné en situation de (poly)handicap peut parfois se sentir blessé ou non reconnu comme une personne qui, elle aussi, grandit.
(b) L’aggravation de la situation de santé de la personne en situation de (poly)handicap, mais aussi le choix de son/ses lieu(x) d’éducation et de vie peut affecter ses frères et sœurs. Il est indispensable qu’un adulte puisse les aider à formuler leurs questions et leurs émotions.
(c) La période de l’adolescence constitue une période charnière pour les relations fraternelles. La culpabilité de ne pas être handicapé, mais aussi la possibilité de remettre en question la mission confiée (consciemment ou non) par les parents peut jouer sur la possibilité d’éviter une position sacrificielle et de ne pas renoncer à la construction de son propre parcours.
(3) Créer les conditions pour pouvoir parler de ses souffrances, exprimer ses émotions et être entendu permet de les rendre supportables. A chaque étape de la vie, la fratrie peut être et devenir une ressource. Participer à un groupe de parole, parler en famille autour d’un livre ou d’un film, participer à des entretiens familiaux pour faciliter et soutenir les échanges en famille, participer à des activités associatives, ou encore partager ses expériences peut aider à cela.
Connaître les fonctions positives de la fratrie permet de ne pas les entraver et de donner à tous les enfants l’occasion de parler du handicap, de poser leurs questions, et d’exprimer leurs émotions. Pour davantage de détails, nous vous invitons à lire le chapitre rédigé par R. Scelles (2021).